Démarré en 2015, l’atelier poules pondeuses avait comme objectif d’assurer des entrées d’argent régulières et rapides afin de sécuriser ma nouvelle installation, seul sur une petite ferme de 15 ha. En effet, la demande en œufs bio était forte et en augmentation. Je pensais limiter le temps de travail en ciblant le demi-gros comme débouché : des professionnels du commerce de proximité à qui je vendrais mes œufs. Le temps restant me permettrait dans un premier temps de construire mon siège d’exploitation (habitation et bâtiments agricoles) puis de diversifier les productions de la ferme, en retournant du côté du végétal : des céréales, en partie pour l’élevage, du maraîchage, etc.
Aujourd’hui, je vois les limites de cet atelier. Notamment au niveau du temps de travail, qui reste important, à cause de la vente directe (je n’ai pas pu développer la vente en demi-gros comme souhaitée au départ) et du temps à consacrer au suivi administratif. Rien que pour la commercialisation, je passe 21 h en moyenne par semaine. Je n’ai pas pu trouver le temps de diversifier mes productions, ni même cultiver comme il le faudrait les 15 ha de terre de la ferme.
Les aspects sanitaires sont également majeurs dans ma prise de décision, même si je n’ai pas été touché directement à ce jour. Ce sont des menaces majeures sur lesquelles il ne me semble pas possible d’agir.
La grippe aviaire devient endémique et perd son caractère saisonnier en France, avec des conséquences extrêmes pour les petits élevages des zones touchées. J’ai eu la chance d’être épargné mais j’ai déjà l’obligation d’enfermer mes poules depuis deux hivers, ce que je ne veux pas faire.
Je ne veux pas non plus attendre d’avoir la malchance de me retrouver dans le périmètre d’une zone réglementée avec son lot de contraintes, jusqu’à l’abattage des poules.
Il y a aussi la question du dépistage des salmonelles : ayant de multiples petites bandes, je dois faire jusqu’à 15 dépistages par an de ces bactéries pathogènes, non pas sur ou dans les œufs, mais dans la litières des bâtiments, ouverts aux quatre vents chez moi. Quand on sait que les salmonelles sont présentes dans la nature, véhiculées par les animaux sauvages et domestiques, portées par le vent, j’ai l’impression, même en ayant de bonnes pratiques d’hygiène, de jouer au casino tout mon pécule à chaque analyse !
Les conséquences d’un seul test positif sont énormes pour un petit élevage en vente directe : interdiction de vente des œufs, information des clients, vide sanitaire qui peut se prolonger… Plus d’une personne concernée a jeté l’éponge, d’autant qu’aucune indemnisation n’ai prévue pour nos élevages plein air en bâtiments déplaçables.
Là encore, je ne veux pas attendre d’être directement concerné. Jusqu’à maintenant, je faisais le moins possible d’analyses (une ou deux par bande), mais la pression est maintenant très forte depuis que je suis soumis à l’agrément sanitaire européen.
À quoi bon se donner à 100 % dans son travail, s’y investir corps et âme, y investir ses économies, quand tout ce que vous aurez réussi à mettre en place peut être détruit du jour au lendemain de manière incompréhensible et injuste ?
Et je ne vous parle pas de la rentabilité de moins en moins évidente, alors que les dépenses augmentent sans cesse (aliment pour les poules, carburants, assurance, etc), que les consommateurs se détournent du bio, « trop cher » d’après le journal télé ?
Il faut vraiment ne voir que les aspects positifs pour être agriculteur aujourd’hui ! Car qui serait prêt à travailler sans relâche pour beaucoup moins que le smic horaire, dans des conditions de travail souvent pénibles, en ne prenant que quelques jours de vacances par an, le tout avec le sentiment d’être globalement incompris du reste de la population ? Encore une fois, je préfère ne pas attendre d’être malade de mon travail.
Dans ce contexte, et ne voyant pas comment les choses pourraient s’arranger, j’ai décider de faire une pause, en vidant progressivement mes bâtiments. Cela me permettra de ne plus avoir l’astreinte quotidienne du suivi de l’élevage, de la récolte, du tri et de la vente des œufs. Je pourrais alors, je l’espère, retrouver du temps pour réfléchir à l’avenir de ma ferme, pour prendre l’air, prendre du recul et me mettre dans les meilleures conditions pour la suite des événements. L’échec ne me fait pas peur, c’est au contraire une opportunité, un enseignement à saisir.
J’ai fais ce texte pour tenter d’expliquer rapidement au plus grand nombre mon choix, mais il ne remplacera pas les échanges que nous pourrons avoir. N’hésitez pas à venir m’en parler !
Pour en savoir plus sur les contraintes sanitaires qui pèsent sur nos élevages, suivez les publications du Collectif Sauve qui poule, sur FB : https://www.facebook.com/collectif.sauvequip/
Quelques articles pour illustrer ce contexte inédit :
- « La réglementation salmonelles, dans sa version actuelle, constitue un couperet insupportable pour les élevages plein air. » http://www.confederationpaysanne.fr/actu.php?id=11041&PHPSESSID=a1499b6e13e
- « La fin des œufs bio et plein-air ! » https://www.youtube.com/watch?v=75oWAvuSIEI
- « Grippe aviaire : 20 millions d’animaux tués, une hécatombe sans précédent due à l’élevage intensif » https://lareleveetlapeste.fr/grippe-aviaire-20-millions-danimaux-tues-une-hecatombe-sans-precedent-due-a-lelevage-intensif/